Freitag, 5. Februar 2016

Chapitre septième

Quelques petites semaines sont passées, pourtant le règne de l'hiver sur la Suède est terminé. Le printemps n'est pas venu du Sud, mais du Nord, des âpres vallées de la Dalécarlie. Le printemps s'appelle Gustave Vasa.
De la montagne à la mer, il n'y a personne qui vienne en aide à la Suède, sinon lui. La noblesse est brisée, et il est bon que ses forces soient paralysées, et que, à cause de la jalousie qui depuis des siècles a ruiné et asservi le pays, elle soit incapable de s'opposer, d'une manière hostile, au libérateur. Dans les villes, où demeure la bourgeoisie, les armes des soldats de Christiern de Danemark font entendre leur cliquetis et la maintiennent sous une pression de fer.
Sur une large ligne qui va de Copenhague à Stockholm, le pays est dévasté, les villages incendiés, les habitants sont tombés dans des combats, ont été jugés ou se sont enfuis, des gibets et des roues indiquent le chemin pris par le maître des royaumes du Nord depuis qu'il a quitté Torpa. Sa faux, la mort, passe sur les champs qui s'éveillent ; elle abat ce qui se trouve sur son chemin, grand ou petit, froidement et avec indifférence. A chaque tête qui tombe, les yeux sombres de Christiern regardent tout autour en cherchant celle qui lui succédera.
Il n'y a personne qui vienne en aide à la Suède, à part le peuple, le peuple de paysans irréductibles des Kjölen. C'est pourquoi les Dalécarliens, venus des montagnes et des vallées, ont afflué et se sont rassemblés dans la grande prairie que le printemps a couvert de primevères, et ont, à l'air libre, élu Gustave Vasa comme leur « Seigneur et Capitaine » et celui des « simples soldats du Royaume de Suède ».
Et Gustave Vasa est descendu rapidement des montagnes ; avec quelques centaines d'hommes il a traversé la rivière de Dal, et des milliers d'autres ont accouru à lui, car le printemps était arrivé...

« Lagopède et écureuil dans l'arbre,
La flèche de la vallée atteint son but. »

Mais, non moins bien que le lagopède et l'écureuil, elle atteignait les cavaliers bien armés avec lesquels ce traître d'archevêque Trolle marchait contre les Dalécarliens près du bac de Brunnbäck.

« Ils poussaient les Jutlandais dans la rivière de Brunnbäck,
Les eaux les éclaboussaient tout autour :
Ils regrettaient seulement qu'à Christiern lui-même
N'échût pas le même destin... »

C'est ce que chantait la vieille chanson de la victoire. Les vagues rouges du Dal, en signe des premières représailles pour la nuit sanguinaire de Stockholm, se déversaient en grondant dans le Golfe de Botnie ; mais, en même temps que cette nouvelle se répandait, Gustave Erichson progressait vers le Sud.
« Je t'ai crié à Torpa que nous nous reverrions, Roi Christiern ; tu ne pourras pas éviter de me revoir avant que le Sund ne se trouve entre toi et la Suède », - il envoya un cavalier pour porter ce message au roi danois. Mais avant que le messager, sans se faire repérer, ait cloué la feuille au portail du château où se trouvait Christiern, Gustave Vasa avait battu pour la seconde fois les danois, près de Västeras, et, avec tant de milliers d'hommes que ce n'était plus une foule de paysans, mais une armée impressionnante, il assiégeait la ville de Västeras, que défendait Slaghöck, compagnon barbier et aumônier du roi danois. Les paysans l'enlevèrent d'assaut...

« Et alors les Jutlandais s'enfuirent tous,
Chantant à voix haute cette chanson plaintive :
Que le Diable boive la bière de lédon,
Brassée à côté de l'enclume et des tenailles du Dalécarlien. »

Puis, au solstice d'été, alors que la nuit ne se distinguait plus guère du jour, la vieille ville royale d'Uppsala tomba dans les mains de Gustave Vasa.
Il s'y arrêta. L'impétuosité de ses partisans enthousiastes était excellente pour battre les troupes danoises en pleine campagne, mais pour un siège de longue durée, fait dans les règles, d'une ville fortifiée comme Stockholm, la force brute des paysans ne suffisait pas. Il fallait les habituer à la discipline militaire et à l'exercice. Leur armement consistait en outils de cultivateurs et en matériel de chasse, la hache avec laquelle ils abattaient les arbres dans leurs montagnes natales, l'arc et la fronde qui leur servaient à chasser les lagopèdes, la pique avec laquelle ils défendaient leurs troupeaux contre les loups et les ours. Mais Gustave Erichson avait l'oeil à tout, et organisait tout. Se fondant sur la vieille promesse de Lübeck de lui fournir de l'aide, il avait, anticipant l'avenir, obtenu de la ville hanséatique, grâce à ses sollicitations, des armes à feu, et il enseignait maintenant lui-même aux hommes des vallées, qui en ignoraient l'usage, le maniement du lourd mousquet. Des chefs, qu'il avait choisis, parcouraient le pays dans toutes les directions, et appelaient la population à la révolte et à la formation de troupes armées. Partout, apparaissaient de petits groupes de combattants, qui se réunissaient et attaquaient victorieusement les postes danois dans les petites localités. Bientôt le pays plat fut complètement aux mains des libérateurs, et les chefs d'armée de Christiern furent forcés de se retirer dans les villes fortifiées, et surtout dans les ports qui, comme Stockholm, pouvaient, grâce à la flotte danoise, être pourvus, de manière toujours renouvelée, de soldats et de vivres. Brita Stenbock avait eu raison; en l'espace de quelques petites semaines, la Suède entière était devenue un Torpa, et le Roi Christiern, en grinçant des dents, regardait, par les fenêtres de son château de Copenhague, au delà du Sund, qu'il avait retraversé, parce que la Noblesse danoise soulevée contre lui avait profité de son absence pour attiser, au Danemark aussi, le mécontentement du peuple contre son tyran.
Mais chacune des troupes, petites ou grandes, qui, ici ou là, combattaient dans le pays pour la libération de la Suède, se mettait à la disposition de Gustave Vasa et lui prêtait serment de fidélité comme à  « son Seigneur et Capitaine, ainsi qu'à celui du peuple du royaume de Suède ».
Ainsi tout affluait à Uppsala, tout venait d'Uppsala, la vieille ville royale, où, jadis, avait régné la puissante famille des Ynglinger. La ville ne se trouvait plus à son ancien emplacement, mais à une heure de marche à l'Est; seul un village caché sous les tilleuls marquait l'endroit où dormaient les restes de l'antique souveraine du Nord, recouverts d'herbes et de plantes. Entre les maisons s'élevait une très ville église avec sa tour carrée construite en blocs de granit; une pierre gravée de runes, insérée dans le choeur, parlait à la génération actuellement vivante le langage du passé, qui n'était plus compréhensible. Mais, tout à côté de l'église, s'élevaient trois buttes, hautes comme des tours, les « buttes des rois », encore consacrées, aux dires des gens du pays, à Thor, Frejr et Odin ; tombeaux gigantesques, probablement ceux des Ynglinger, qui témoignaient d'un monde légendaire, dans lequel les Dieux du Walhalla descendaient du Ciel pour fonder des royaumes et serrer dans leurs bras les jolies filles de la terre. Maintenant, sur leur sommet arrondi, les épaisses cimes des hêtres gémissaient au vent du Nord et dispersaient leurs feuilles sur les blocs grossièrement taillés qui, oreillers de granit pour les terribles héros gigantesques, s'adossaient aux piliers en bois de la chambre à coucher de ces derniers.
Celui qui était assis sur l'une de ces pierres apercevait, vers l'Est, entre les troncs, la cathédrale géante aux tons gris d'Uppsala, dont l'aspect trahissait aussitôt qu'elle avait été construite par les fortes mains des ouvriers du gothique ancien. Avec ses deux tours, elle s'élevait au-dessus du « skog » sombre, de la forêt suédoise primitive, qui couvrait la vaste plaine d'un mélange sauvage de pins et de sapins, d'aulnes et de bouleaux.
De loin en loin, une lacune s'ouvrait en elle, au bord de la route bien construite pour l'époque, qui conduisait de la vieille Uppsala à la ville, et des blocs de granit, nus ou recouverts de mousse, reposaient sur des rocs de porphyre rouge, entassés de manière hasardée sur un sol formé de débris de rochers grisâtres; ça et là, une haute fougère solitaire et mélancolique bougeait dans un interstice de la pierre. Mais, malgré le Nord, le soleil du plein été suédois répandait sa chaleur, et, à midi, faisait paraître le chemin d'à peine une heure long au voyageur, jusqu'à ce qu'il atteignît la place de la cathédrale d'Uppsala, dont la nef puissante, comme un géant parmi les nains, se dressait au-dessus des maisons basses de la ville, à un seul étage pour la plupart. Presque toutes étaient en bois, les toits recouverts d'écorce de bouleau grise. L'aspect d'Uppsala, dans laquelle Sten Sture l'ancien, un demi-siècle auparavant, avait déjà fondé la première université suédoise, était monotone comme le Nord. Mais depuis de longues années les chaires étaient abandonnées ; la science s'était tue au bruit des armes, parmi lesquelles la génération actuelle avait grandi, et la ville royale, privée de sa splendeur ancienne aussi bien que nouvelle, se rassemblait tristement autour de la cathédrale, symbole de son passé glorieux. L'herbe poussait dans les rues, que ne parcouraient plus les pas rapides des étudiants, affluant avec plus d'empressement de la source de sagesse qu'ils ne confluaient vers elle; Uppsala reposait calme et mélancolique, comme à l'extérieur la nature, à l'intérieur peu de ses habitants se rencontraient à l'air libre, et ils passaient les uns devant les autres avec un salut rapide et plein de timidité.
Il en avait été ainsi jusqu'à quelques semaines auparavant, mais un mois d'été avait suffi à tout changer. De même qu'à l'extérieur il avait revêtu la forêt et les champs d'un vert joyeux, il avait aussi transformé l'aspect hivernal de la ville comme d'un coup de baguette magique. Dans les rues, les passants étaient serrés tête contre tête ; des silhouettes, des visages de toutes sortes. Avec leurs fronts osseux, dont la chevelure plate, épaisse et blonde retombait sur les côtés, les Dalécarliens semblaient presque dépasser les bâtiments peu élevés. Les fils agiles du Gotland et de l'Ingermannland se déplaçaient parmi eux d'une manière plus élégante ; on distinguait aisément les traits plus intelligents du citadin, qui avait jeté des regards sur le monde d'au-delà de la Mer Baltique ainsi que sur ses conditions de vie, et qui avait assimilé les mœurs allemandes, plus raffinées. Dans un costume plus riche, il traversait la foule, volontiers accompagné d'hommes pleins de dignité, qui promenaient alentour un regard curieux et scrutateur, et dont la langue et les manières bienséantes révélaient des gens étrangers au pays.
C'étaient les notabilités de Lübeck, les délégués de la direction suprême de la Hanse, qui avaient abordé avec leurs bateaux à Norrtelge, pour apporter d'utiles armes à l'adversaire de leur vieil ennemi et rival dans la Mer Baltique, et pour se faire une opinion sur l'importance et la durabilité de la révolte suédoise, ainsi que sur la personnalité de son chef suprême. Ils étaient venus avec l'air de marchands réservés, taciturnes et évaluateurs ; pourtant l'enthousiasme général les avait déjà gagnés, eux aussi, et dans les rapports qu'ils envoyaient aux bords de la Trave, toute défiance envers la réussite d'une affaire qui se trouvait entre les mains de Gustave Erichson avait disparu. On les voyait souvent en public en compagnie de ce dernier ; plus souvent encore, on les voyait entrer, le soir, à la fin du crépuscule, dans la maison simple qu'il habitait, et ils en sortaient rarement avant l'aube. Pourtant, d'autres fois, ils se mêlaient joyeusement au peuple avec lui, et, avec des regards qui n'étaient pas du tout ceux de marchands, ils admiraient les jeunes servantes coquettes d'Upland et de Gefleborg, aux cheveux relevés, laissant voir la nuque ; qui, avec leurs yeux bleus sous leurs épaisses nattes blondes fixées sur leur tête, se frayaient résolument un chemin à travers la foule et, dans l'allégresse générale, toléraient en riant mainte admiration trop empressée que, dans d'autres circonstances, elles ne craignaient pas d'écarter d'une main rude. Toute la journée les champs autour de la ville étaient un campement militaire, qui étincelait d'armes de toutes sortes, dans lequel Gustave Vasa en personne faisait faire l'exercice à ses partisans avides d'apprendre. Les cavaliers caracolaient sur des chevaux trapus à crinière courte, dont l'endurance était incroyable, et les nouvelles armes à feu, qui provoquaient l'étonnement et la crainte chez les vieux qui se trouvaient là, claquaient du matin au soir ; car la libéralité avisée des notables de Lübeck ne s'était pas bornée à la livraison de mousquets, mais, sans considérer les frais considérables pour l'époque, avait envoyé des stocks de munitions en telle quantité que, vu le temps que prenait le chargement des armes, ils auraient suffi pendant des années pour les guerres de toute une armée.
En tout cas, il était plus difficile que les maisons d'Uppsala pussent suffire à héberger les innombrables hôtes, militaires ou civils, qui venaient du Sud et du Nord. Mais chacun des habitants de la ville cédait avec joie le moindre espace disponible de son logis pour accueillir les libérateurs. Un esprit d'ordre exemplaire, d'honorabilité nordique et de sobriété régnait dans la ville surpeuplée ; seulement, le soir, l'exercice quotidien des armes accompli, des chants, surtout la « chanson de Brunnbäck », flottaient dans une nuit annoncée par l'horloge, quoique le soleil, une heure avant minuit, répandît encore son or à l'horizon.
Mais tout bruit et tout chant cessait, et toutes les têtes se découvraient – les femmes soulevaient leurs enfants dans leurs bras, les jeunes filles se frayaient plus hardiment un chemin parmi les hommes, et dans les yeux des vieux on voyait apparaître une lueur juvénile, quand la haute silhouette de Gustave Vasa passait dans la rue.
C'est ce qu'elle faisait en ce moment, vêtue de façon simple, et à peine plus grande que celle de ceux qui l'accompagnaient et se pressaient autour de lui, pourtant elle se distinguait par quelque chose d'indicible, n'importe quel étranger aurait reconnu au premier coup d'oeil Gustave Vasa parmi ses nombreux compagnons. C'était le même visage qui, ce soir de novembre, au Trollhättan, s'était trouvé soudain face à Karin Stenbock, seulement le front, plus pensif, était, bien que jeune, sombre et sillonné ça et là de quelques rides. Du côté droit, la trace d'une blessure le traversait jusqu'à la tempe, large cicatrice, qui ne semblait pas résulter d'un coup porté par une arme de guerre tranchante. Elle paraissait comme marquée au fer rouge, et les cheveux tout autour comme submergés. Pourtant cela ne portait pas tort à la beauté virile du visage; mais mettait plutôt en relief l'énergie imposante de ses traits, et les yeux reflétaient un monde, ou ils renfermaient un monde, quand ils ne voulaient pas le laisser sortir à la lumière. Personne ne voyait jusqu'au fond de ces yeux, ni la confiante et sincère simplicité des Dalécarliens, ni le regard avisé des marchands diplomates venus d'Allemagne. Qui croyait connaître les pensées les plus secrètes de Gustave Erichson se voyait souvent déçu dans son attente.
Il en allait de même de ceux qui l'accompagnaient cet après-midi et qui, à l'extrémité Nord de la ville, se trouvaient bien depuis une heure déjà à son côté, tandis que lui, l'infatigable, était assis immobile en selle et, dans la chaleur étouffante de l'après-midi de juillet, observait la route qui conduisait à Gefle. Il devait attendre quelque chose de particulièrement important de ce port, pour que lui, qui se reposait à peine pendant la nuit, et ne laissait inemployée aucune minute du jour, dominât son impatience et, plongé dans de profondes réflexions, parût cette fois-ci ne pas remarquer l'écoulement du temps. Derrière lui ses compagnons échangeaient et examinaient des conjectures sur l'objet de son attente persistante. D'après leur avis commun, elle ne pouvait qu'annoncer quelque chose d'important au plus haut point, un message venant de Russie ou la nouvelle de l'arrivée de troupes auxiliaires en provenance de Lübeck. Pourtant, les notables de la Hanse ne savaient rien de l'imminence de cette éventualité; mais, par ailleurs, ils supposaient eux-mêmes que les yeux impénétrables du jeune général en chef, sans avoir recours à leur entremise, et bien au-dessus de leurs têtes, étaient capables d'observer et de découvrir par eux-mêmes ce qui pouvait sortir de l'antique ville des bords de la Trave et de ses portes, derrière lesquelles se trouvaient la puissance, l'influence et surtout les solides thalers de Lübeck, amassés grâce au commerce avec l'Est. Ils n'étaient donc guère moins impatients que leur commandant en chef et comme lui persistaient à regarder le chemin, chauffé par le soleil, en direction de Gefle.
Un tressaillement très léger autour des cils de Gustave Vasa se produisit soudain, et une minute plus tard le regard des autres perçut aussi un point sombre qui se rapprochait sur la poussière jaune de la route. Il grossit lentement, on put reconnaître peu à peu que c'était une chose étrange pour cette époque, une voiture de voyage découverte venant de la campagne. Une calèche tirée par des chevaux aux membres épais, qui avançait lentement  –  deux femmes étaient assises à l'intérieur sur les sièges de l'arrière; l'une aux cheveux blancs de vieillesse autour des tempes regardait bizarrement droit dans les rayons du soleil sans en être éblouie, L'autre, dont la chevelure, comme ces rayons mêmes, reposait sur un front blanc, tenait ses yeux baissés et dirigés quelque peu sur le côté, comme embarrassée. Puis la voiture passa devant les cavaliers qui continuaient d'attendre. Par simple curiosité, mais sans intérêt plus profond, quelques uns d'entre eux tournaient leur visage vers les occupantes, tandis que d'autres poursuivaient leurs conversations à voix basse – Gustave Vasa ôta à ce moment, d'un mouvement brusque, son chapeau de son crâne, et s'inclina jusqu'à la crinière de son cheval.
En un clin d'oeil, toutes les têtes alentour étaient découvertes, et tous les yeux fixés, dans un étonnement soutenu, sur le visage de la jeune fille à laquelle était adressé le salut respectueux et inhabituel du général. La voiture était déjà passée sans s'arrêter. Rougissant fortement, la jeune fille merveilleusement belle avait répondu sans rien dire à ce salut, et son regard d'un bleu profond avait passé pendant une seconde sur le visage du cavalier, tourné vers elle. Puis celui-ci fit faire demi-tour à son cheval, et retourna silencieusement en ville.
Il était évident qu'il n'y avait rien d'autre à attendre. Gustave Vasa avait passé de longues heures dans l'inactivité, pour saluer une jeune fille et être salué par elle. En un éclair, la nouvelle se répandit dans Uppsala; cette fois, ce fut l'affaire des femmes d'empiler les suppositions sur les suppositions et de les dérouler. Pourtant, personne ne savait qui était la belle inconnue et où elle était maintenant. On apprit seulement que la voiture avait à peine touché la ville, qu'elle avait de nouveau tourné à l'extrémité est de celle-ci, et pris la route de la Vieille Uppsala.
Elle y arriva l'après-midi, encore tôt. Tout près de l'antique Tour de l'Eglise se trouvait une maison accueillante, de plus belle apparence que les autres maisons du village, c'est là qu'elle s'arrêta. Des valets et des servantes attendaient au portail les voyageuses et les reçurent dans un silence plein de respect. Appuyé au bras de sa fille, Brita Stenbock descendit de voiture et entra dans la maison.
Le regard impénétrable de Gustave Vasa était-il parvenu jusqu'ici ? Tout était organisé avec un soin délicat pour le séjour des femmes, dans un espace plus réduit, mais plus confortable, moins nordique, et respirant davantage la simplicité, que Torpa ne l'avait proposé. Les meubles, ainsi que les rideaux lourds et précieux, révélaient qu'ils n'avaient pas été faits en Suède ; ils manifestaient la richesse et les relations d'une grande ville de la Hanse, au-delà de la mer. Gustave Vasa, en même temps qu'il avait demandé des mousquets et des troupes de guerre pour la libération de la Suède, avait-il également pensé à un jardin pour la Rose du Trollhättan, qu'il avait arrachée à son sol natal ?
Ce jardin lui correspondait certes mieux que les lieux âpres et sauvages dans lesquels elle avait séjourné, tantôt ici, tantôt là, depuis cette nuit où elle s'était envolée avec les choucas de l'autre côté de la rivière de Göta. Elle n'avait pas revu Gustave Vasa depuis qu'elle lui avait crié son «Bon voyage ! » au-dessus des eaux. Des chevaux se tenaient prêts, et son père la souleva et la plaça devant lui sur la selle. Ils chevauchaient de nuit, et, durant le jour, ils trouvaient un refuge accueillant dans des maisons isolées, où leur arrivée avait toujours été annoncée auparavant à leurs habitants. Ils atteignirent ainsi les montagnes inhospitalières, entaillées de précipices, qui délimitent la frontière entre la Suède et la Norvège. Pourtant, même ici ils n'étaient pas en sécurité ; partout avait été publié l'ordre aux garnisons des villes de les arrêter, et le roi lui-même avait mis à un prix élevé « la capture de Karin Stenbock, morte ou vive ». A travers les hautes montagnes, qui étaient encore couvertes d'une couche profonde de neige, ils se dirigeaient donc de plus en plus vers le Nord. C'était un chemin pénible, qui fatiguait souvent les hommes; pourtant, Karin ne semblait rien ressentir par suite de tous ces efforts, des conditions du voyage et du froid. Etonnés, les paysans regardaient sa silhouette délicate de jeune fille qui défiait les intempéries, la rudesse de la région et les privations; plus d'un, qui n'avait pas écouté les exhortations des hommes, était entraîné, par les paroles enthousiastes sortant de la bouche de Karin, à laisser de côté ses outils de paysan ou d'artisan, et à se rendre en Dalécarlie, où, comme la rumeur s'en répandait dans tout le pays, les libérateurs de la Suède se rassemblaient.
« Je vous appelle au nom de Gustave Vasa », disait Karin, et ses joues étaient en feu. Puis ils se remettaient en route. Là où ils passaient par de larges vallées inhabitées, et où ils étaient forcés de se livrer à leurs pensées, c'était un cortège triste et sombre. Ils ne savaient rien de ce qui était arrivé à Torpa après leur fuite, rien du sort de l'épouse et de la mère aveugle, tombée aux mains du cruel Christiern. Ce n'est qu'une fois traversée la rivière de Clara, qu'un messager les rejoignit et leur apporta la nouvelle que Brita Stenbock était sauvée, et que, transportée en bateau sur le lac Vänern, on l'avait conduite elle aussi vers le Nord.
Karin entendit en frissonnant le récit du messager: Gustave Vasa avait attendu avec ses quatre compagnons, dans le passage souterrain, le départ des danois et, finalement, poussé par l'angoisse, malgré le danger de mort, il était allé à tâtons dans l'escalier et le couloir, par-dessus les cadavres, et s'était couché entre eux pour écouter.
Pourtant, même lui ne put pas se représenter ce qui devait se passer. Il entendit seulement qu'on enchaînait Brita Stenbock et Gustave Rosen, et qu'on les laissait là. Puis il perçut en bas le vacarme du départ du roi, mais en même temps la lueur rouge des flambeaux tomba sur son visage, en se rapprochant de plus en plus; un pied brutal avec sa chaussure ferrée marcha sur sa poitrine. Des crépitements et des craquements traversaient les murs et une fumée suffocante remplissait le couloir, si bien qu'il bondit sur ses pieds sans réfléchir, qu'importe qu'il pût y avoir des ennemis présents ou non, et ouvrit brusquement la porte de la salle. A peine vit-il encore à travers la fumée l'autel et les deux silhouettes immobiles qui y étaient enchaînées; à une demi-minute près, son épée aurait tranché leurs liens trop tard, ses bras, assistés par ceux de Gustave Rosen, auraient porté trop tard Brita Stenbock dans le couloir en feu. Des parties de la charpente embrasée s'effondrèrent derrière eux, un éclat de poutre tomba lourdement sur le front de Gustave Vasa, il atteignit pourtant la porte salvatrice qui conduisait au sein de la terre, où, épuisé par l'énorme effort, son fardeau dans les bras, il rencontra les Dalécarliens qui attendaient anxieusement son retour, et s'effondra au sol. Puis, dans le souterrain, ils attendirent impatiemment (cela leur semblait une éternité) la venue de la nuit protectrice, et parvinrent, sans se faire remarquer et sans courir de danger, à la rivière de Göta qu'ils remontèrent à contre-courant pour atteindre le lac Vänern.
Stenbock et sa fille écoutaient, le souffle coupé; ils pleuraient à la fois de joie et de douleur. Leur maison natale avait disparu du sol, désormais pour celle-ci, leurs yeux seraient comme ceux de Brita Stenbock et ne reverraient jamais Torpa. Pourtant, qu'était-ce que Torpa en comparaison de la libération de la Suède ? Dorénavant, la Suède était leur maison natale – Karin le ressentait comme un avis d'en-haut, elle devait appartenir à la patrie tout entière, et non au bout de terre étroit où elle avait passé son enfance à rêver.
Et qu'était-ce que la destruction d'une maison en comparaison de la vie de sa mère, qu'elle avait crue perdue sans espoir, et que Gustave Vasa avait sauvée en mettant en danger sa propre vie ?
A cette dernière pensée, une rougeur sombre envahit les joues de la jeune fille. Pensait-elle aux paroles que le Trollhättan avait entendues:
« La main est libre, Gustave Eriksson, et elle appartient à celui qui accomplira deux choses. »
« Que l'avenir de la Suède retombe sur toi, s'il est perdu à cause d'une femme » ̶ avait répliqué Gustave Vasa, en sautant dans le bateau.
Avait-il accompli l'une des deux choses ? Les joues fiévreuses, chaudes et froides de Karin, disaient que oui.  ̶  Qu'était la deuxième ? Pouvait-il aussi l'accomplir ?
Et s'il l'avait accomplie, s'il venait et disait: C'est fait, Karin,   ̶  alors quoi ? Alors, il a un droit plein et incontestable à la récompense que les yeux, les autres yeux de Karin lui ont promis, – à la main qu'il désire. Pourquoi pas ?  ̶ Les yeux, qui avaient eu à donner le cœur, sont éteints. Aucun rayonnement n'est sorti d'eux, quand le messager a parlé du sort de Gustave Rosen ; les lèvres n'ont pas remué, elles n'ont émis aucun mot pour demander de ses nouvelles. Les yeux sont éteints, comme les flammes de Torpa, et le cœur est réduit en cendres comme les ruines du château.
Mais le feu couve longtemps sous les cendres de Torpa, Karin. Celui qui se tient à côté croit que tout est mort et calciné, car la tempête, qui passe par là-dessus, étouffe pour un moment le charbon caché, qui continue à brûler dans les profondeurs. Mais quand elle s'est apaisée, quand la fumée se disperse et que le calme et la tranquillité reviennent, l'haleine légère, légère de l'été passe sur le lieu mort, et réveille alors le charbon assoupi.
Et Karin continuait à cheminer à côté de son père, et réveillait les charbons qui dormaient sous les cendres de la Suède, avec l'exhortation:
« Je vous appelle au nom de Gustave Vasa, il libérera la Suède ! »
A ces mots, la chaleur et le froid envahissaient à nouveau son front. Gustave Vasa, quand il aurait libéré la Suède, aurait-il accompli la deuxième chose qui avait été dite en présence du Trollhättan ?
Ce n'est que dans l'Ouest de la Dalécarlie que Karin et sa mère se rencontrèrent. Là, Stenbock les laissa, pour rejoindre les troupes que Gustave Erichson avait rassemblées. Dans une surexcitation fiévreuse, Karin persistait dans la résolution de porter des vêtements d'homme et de prendre part elle-même au combat pour le suprême et unique but. Prendre soin de sa mère aveugle lui apparaissait comme un devoir moins sacré que cette pensée, que la ferme volonté de son père n'était pas capable de vaincre. Dans sa détresse, il s'adressa secrètement à Gustave Vasa, et obtint de lui l'ordre pour Karin de renoncer à son intention.
Comme général en chef de la Suède, celui-ci écrivit qu'il exigeait une obéissance absolue de tous ceux qui voulaient servir la cause de la patrie. Il accomplirait ce que Karin lui avait demandé, et exigeait qu'elle se conformât à sa volonté, elle aussi. Il désirait qu'elle se rende avec sa mère à la Vieille Uppsala, où une maison serait préparée pour les accueillir. Une voiture les attendrait à Gefle ; l'heure de leur départ de cette ville et celle de leur arrivée à Uppsala étaient déterminées avec exactitude. Les pensées de Gustave Vasa organisaient et englobaient tout, les moindres choses comme les plus grandes.
Elles arrivèrent ainsi dans la maison à côté de l'église dans la Vieille Uppsala. A l'intérieur, il n'y avait rien à ranger, rien à changer; comme si une main de femme avait tout organisé soigneusement, chaque endroit de la demeure parlait de prévision et de prévenance. Il parlait de davantage encore, quand on considérait que ce n'était pas la main d'une femme, mais celle d'un homme. Si l'on voulait songer que c'était en outre la main dans laquelle l'avenir de la Suède semblait reposer, on devait se dire que l'aménagement de la maison sous les tilleuls à côté de l'église de la Vieille Uppsala trahissait plus que la prévision et la prévenance, et même plus que la reconnaissance et l'amitié.
Karin le sentit, quand vers le soir elle sortit pensivement pour prendre l'air. Elle avait passé l'après-midi dans l'inquiétude; ses yeux étaient dirigés au-delà de la fenêtre et presque fixés sur la route qui l'avait conduite à Uppsala. Comme si les émotions des derniers mois avaient affecté ses nerfs, elle sursautait presque de frayeur à chaque bruit inattendu, quand une porte s'ouvrait ou qu'à l'extérieur se faisait entendre une voix étrangère. Ce n'est que lentement que son inquiétude se calma avec la fin du jour; elle traversa le jardin qui entourait la maison, pour aller dans la campagne. Etonnée, elle mesura du regard les trois collines royales qui surgissaient devant elle, et demanda à un vieil habitant du village ce qu'elles signifiaient et quel était leur nom. Puis elle marcha à travers les hautes herbes, parsemées de fleurs, du pré qui s'étendait devant elle, et gravit pensivement la colline d'Odin, celle du milieu.
Des feuilles de l'année précédente jonchaient encore le sol autour du puissant bloc de granit, au bord duquel elle s'assit. Il se pouvait qu'il ait servi de pierre de sacrifice dans les temps anciens, quand la colline donnait encore librement sur la campagne; la vieille inscription runique, là en-bas, dans le mur de l'église, en parlait peut-être. C'était un endroit pour oublier le présent, pour vagabonder dans le passé et dans l'avenir. Qu'étaient le bonheur et la souffrance de l'individu dans la grande marée que les siècles, que les millénaires faisaient monter en grondant et emportaient de nouveau avec eux ? De qui était la voix qui venait frapper cette pierre, avant que les arbres gigantesques, qui aujourd'hui agitaient leurs cimes au-dessus d'elle dans le vent du soir, eussent plongé dans la terre les fils ténus de leurs petites racines ? Qui, des millénaires, des siècles plus tard, aura connaissance de la jeune fille qui est assise sur elle et regarde attentivement le monde, comme si elle comprenait son agitation ? La vie n'est pas créée pour éprouver de la joie ni pour choisir, mais pour accomplir le devoir. Etre utile aux autres et servir au Bien, même s'il s'agit de combattre et de se vaincre soi-même.
Les lèvres de Karin prononcèrent à voix basse ces derniers mots pour elle-même. C'était le soir, tard, mais le soleil se trouvait encore au-dessus de l'horizon. Presque horizontalement, il répandait la lumière étrangement verte, mélancolique, de la fin de l'été nordique sur la calme vallée, dont les habitants étaient déjà partis pour aller dormir, parce que dans quelques heures le rouge à l'Est les appellerait déjà au travail. Le ciel reposait singulièrement tranquille et triste là-haut, au-dessus du monde nocturne en sommeil, encore illuminé par la claire lumière du jour. Au-dessus de la forêt sombre des sapins, les boules d'or des tours de la cathédrale d'Uppsala luisaient au loin, et jetaient leur reflet dans les yeux songeurs de Karin.
« A quoi penses-tu, Rose du Trollhättan ? » demanda soudain une voix derrière elle.
Elle se leva brusquement et se trouva face à Gustave Eriksson.
Elle l'avait à peine vu depuis le soir où elle l'avait sauvé en le conduisant dans le passage souterrain de Torpa, et où au dernier moment elle s'était arrachée à sa fougueuse étreinte. Depuis, le destin avait inversé les rôles; par le même passage souterrain, il l'avait sauvée, et emportée dans ses bras, évanouie et sans qu'elle ait opposé de résistance.
Il avait fait encore beaucoup plus – ses tempes soudainement enflammées en témoignaient, si bien que tout se réveilla en même temps de manière distincte devant sa conscience, et cependant elle se tenait immobile, comme auparavant au Trollhättan, quand la poigne puissante l'avait rendue une première fois à la vie. Le regard de Karin reposait, incertain, sur la cicatrice de la brûlure qui traversait son front; sur toute sa haute silhouette virile ; les lèvres de la jeune file, cependant, ne pouvaient prononcer aucun mot, et les sourcils de Gustave Erichson se froncèrent, comme ils l'avaient fait l'autre fois ; l'expression joyeuse et gaie que son visage avait montré à sa première question, disparut et il poursuivit d'un ton altéré, plus rude, et pourtant plus incertain :
« Est-ce qu'aujourd'hui aussi je ne mérite aucun remerciement, Karin Est-ce que cette fois encore je n'ai pas mérité la main ? »
Elle le comprit mal. Ses lèvres frémirent, elle répondit, hésitante, d'une manière à peine audible :
« La Suède n'est pas encore libre. »
« Tu as raison, toi au moins, tu dois l'être. » Il le dit d'une voix tremblante, d'un air indiciblement amer, en luttant violemment contre le cillement involontaire de ses paupières. « Tu me rappelles que celui qui risque sa vie pour la liberté ne doit pas le faire pour une récompense ; que celui qui combat pour la liberté d'un peuple ne doit pas mettre en danger celle d'un individu. Je te rends ta parole, Karin Stenbock, que la Suède devienne libre ou non. Les paroles sont devenues légères comme des plumes depuis la venue de Christiern de Danemark à Torpa. Adieu ! »
Avant que la jeune fille fût en état de répondre quelque chose, il avait tourné le dos et atteint le pied de la colline d'Odin. Il s'élança sur son cheval qui attendait en bas, et reprit à fond de train la route d'Uppsala en sens inverse. Karin se tenait debout, pâle comme la mort et le suivait des yeux ; le cheval ne cessait de se cabrer sous lui, l'excitation irréfléchie du cavalier se manifestait clairement dans les mouvements anxieux et douloureux de l'animal.
Cette fois la distance entre eux état déjà trop grande, quand Karin regagna la maîtrise d'elle-même et, la bouche tremblante, cria: « Gustave Vasa ! » Il ne pouvait plus entendre l'appel; une angoisse sans nom la saisit; le monde endormi et le soleil tournèrent autour d'elle. ̶ « Les paroles sont devenues légères comme des plumes, depuis que Christiern de Danemark est venu à Torpa », murmura-t-telle en reculant de quelques pas et en chancelant. Puis, soudain, ses forces l'abandonnèrent, et, les mains tendues, elle tomba par terre à côté de la vieille pierre de sacrifice.
Le lendemain, Karin se trouvait de nouveau là-haut, mais Gustave Vasa ne revint pas. Jour après jour, elle était assise au même endroit près de la pierre d'Odin et regardait en direction d'Uppsala, les yeux immobiles et grands ouverts. Elle écoutait le bruissement des arbres au-dessus d'elle; le jour venait comme une année, et s'en allait comme une année. Aucune nouvelle du monde extérieur ne parvenait là-haut, elle ne le désirait pas. Elle mettait en ordre le monde à l'intérieur d'elle-même, et les feuilles l'aidaient, qui, flétries par l'été, tombaient des cimes des hauts arbres sur la pierre de sacrifice.
Des semaines passèrent; partout jusqu'aux bords de la Mer Baltique, les armes suédoises étaient victorieuses. Seul Stockholm, assiégé maintenant par une armée à laquelle s'ajoutaient les troupes auxiliaires de Lübeck, résistait encore.
On attendait la reddition de la ville pour bientôt – quand une fois encore un cri d'horreur courut dans toute la Suède; comme un éclair, la nouvelle épouvantable vola d'un endroit à l'autre, que la mère et la sœur de Gustave Eriksson, qui depuis le début de l'insurrection se trouvaient prisonnières à Stockholm, avaient été assassinées sur l'ordre de Christiern de Danemark.
La nouvelle parvint aussi à la Vieille Uppsala. Le soir approchait déjà, quand Karin Stenbock en prit connaissance; celui qui la transmettait ajouta que depuis cette annonce personne n'avait plus vu Gustave Vasa. La plus grande consternation régnait à Uppsala, vu qu'il s'était enfermé en refusant toute nourriture, et ne répondait à personne. Des gens qui avaient longtemps écouté à sa porte avaient entendu, disait-on – ceux qui le connaissaient ne voudraient pas le croire, mais eux pouvaient jurer qu'ils avaient entendu Gustave Eriksson pleurer.
Lentement, sans rien répliquer, Karin prit le chemin habituel de la colline d'Odin. Elle s'assit sur la vieille pierre, comme toujours, et regarda le soleil couchant jusqu'à ce que les coupoles dorées des tours de la cathédrale commençassent à étinceler. Puis elle se jeta à genoux devant la pierre de sacrifice, et, pendant quelques minutes, elle maintint fermement son front posé sur le granit froid. Calmement, elle se releva et descendit la colline, non pas vers la maison où elle demeurait, mais jusqu'à la route d'Uppsala. Elle la suivit, ni vite ni lentement, jusqu'à ce qu'elle atteignît la ville, à l'entrée de laquelle elle demanda la maison de Gustave Vasa. Une fillette l'y conduisit en courant à côté d'elle. Etonnés, les officiers qui se tenaient, perplexes, dans le vestibule, lui firent place et, à sa demande, lui indiquèrent en haussant les épaules la chambre où depuis deux jours le général en chef s'était soustrait à la vue de ses confidents les plus proches. Pourtant, elle frappa calmement à la porte et dit :
« Karin Stenbock souhaite parler à Gustave Vasa. » Et, à l'étonnement indicible de ceux qui se trouvaient là, la porte fermée pour tout le monde s'ouvrit rapidement, comme d'elle-même ; mais Karin la referma aussi rapidement derrière elle, et dit, les yeux fixés sérieusement sur le visage blême et ravagé de l'homme sui se tenait devant elle :
« La parole d'une Suédoise n'est pas comme celle de Christiern de Danemark. Je veux être une mère et une sœur pour toi, Gustave Vasa. »

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